[Tribune] Pourquoi la publicité échoue-t-elle à s'adresser à la jeunesse ?
Publié par Par Paul Rouquié, planneur stratégique chez Insign, Cabinet de Conseil Opérationnel. le - mis à jour à
Pour la plupart des annonceurs, le rôle de leurs agences de publicité est d'être les interprètes d'une étrange tribu censée leur apporter richesse et prospérité : les jeunes. Car ces jeunes doivent avoir un langage spécifique et commun à tous dont, un jour, espère-t-on, la publicité arrivera à percer la grammaire.
Depuis une cinquantaine d'années, les demandes des marques s'uniformisent autour de la question : Comment s'adresser à la jeunesse ? Nous allons essayer de comprendre pourquoi ces professionnels, avec tous les moyens et l'intelligence mobilisés, peinent à répondre à cette question en nous penchant sur la jeunesse française entre 15 et 25 ans.
Parce qu'être jeune c'est être comme tout le monde... mais en pire.
Depuis que l'on donne des lettres aux générations, on a vu fleurir de très nombreuses théories se contredisant entre elles pour tenter de définir cette jeunesse. En désespoir de cause on finit par parler de « génération de paradoxes ».
On a tout à fait raison. Il est impossible de créer une catégorie avec une population aussi disparate, ce qui agace bien les communicants. En effet, difficile de concilier ceux qui prônent l'acceptation de soi et qui adulent les influenceurs aux émirats, ceux qui sont censés lutter pour le progrès et qui soutiennent qu'un chef devrait pouvoir gouverner sans intermédiaire (47 % des 18-34ans), ou qu'on ne devrait pas avoir le droit de critiquer une croyance (52 % des lycéens) voire que les femmes auraient déjà acquis trop de pouvoir (40 % des 18-34 ans, plus du double de la moyenne).
Ce ne sont pas les mêmes qui pensent ceci ou cela ? Précisément, ce ne sont pas les mêmes. En réalité, ce qu'on est en train d'observer serait davantage un condensé de la société française actuelle (donc y trouver des paradoxes n'est pas inquiétant). Ce n'est pas la jeunesse qui a inventé la défiance envers les institutions ou encore la prise de conscience écologique. Ce sont des thèmes qui infusent toute la société française, on place simplement la loupe sur ceux qui n'ont nécessairement que peu de recul et donc moins de nuances, avec des moyens d'expression nouveaux.
Être jeune c'est rester tributaire de son environnement social, politique et économique immédiat. D'où ce « morcellement » de la jeunesse qui correspond en réalité au morcellement de la société française tel que l'a très justement décrit Fourquet dans son archipel Français.
On pourrait dire qu'à l'image de la société dans laquelle ils évoluent, les aspirations des jeunes sont multiples et hétérogènes. Cela serait une conclusion décevante même si dans le détail elle serait juste. Pourtant, il existe bien quelque chose de commun dans les aspirations des plus jeunes à travers l'histoire et même les cultures : DEVENIR ADULTE.
Parce que le véritable désir des jeunes c'est d'être vieux.
On remarque que ce qu'ils désirent à chaque époque, ce sont les marqueurs de l'âge adulte : l'emploi, la sécurité, le pouvoir d'achat. On peut y ajouter la vie sociale et sexuelle. L'état de minorité n'est agréable pour personne et devient de plus en plus insupportable à mesure que l'on gagne en maturité.
Le problème est que pour devenir adulte, il manque au jeune une chose essentielle qu'il n'a aucun moyen d'obtenir plus vite : UN PASSÉ. Dans les faits, ce qu'on lui reproche le plus souvent, c'est un manque de passé, d'où une sensation d'injustice.
Lorsqu'il dépose pour la première fois son CV à 18 ans, on lui reproche un manque d'expérience ; ses parents lui reprochent de ne pas avoir connu des temps plus durs et ses grands frères et soeurs se vantent de références qu'il ne peut partager.
Quand on est jeune, on comprend instinctivement que c'est l'expérience et le passé qui fondent l'autorité, et qu'en être naturellement dépourvus nous condamne à obéir. On peut comprendre que ce soit révoltant. Lorsqu'on observe les marques préférées des jeunes en France, on ne trouve que des produits qui servent à s'identifier aux adultes que ce soit pour acquérir une autonomie financière (Vinted, LeBonCoin, Lydia) ou culturelle (Facebook, Apple).
Ainsi, la publicité gagnerait davantage à chercher « comment ne pas s'adresser aux jeunes », car tenter de « parler le jeune » c'est non seulement le meilleur moyen d'avoir l'air désuet (car ce langage, s'il existe, est protéiforme), mais surtout, cela ramène frontalement la cible à un état qu'elle déteste : sa condition de jeune.
L'auteur : Paul Rouquié, planneur stratégique chez Insign, Cabinet de Conseil Opérationnel.
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Sources :
- DABI, Frédéric, et STEWART Chau. « La Fracture ». Paris : Les Arènes, 2021. - [Enquête IFOP menée auprès d'un échantillon de 1014 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 à 30 ans du 24 au 29 septembre 2021]
- IFOP pour ELLE, « Hommes et la Nouvelle Masculinité » - octobre 2019
- FOURQUET Jérôme « L'Archipel français : Naissance d'une nation multiple et divisée » (Prix du livre politique 2019), éditions du Seuil, février 2019
- Classement YouGov des marques suscitant l'intérêt des 18-34 ans en France (indicateur de bouche-à-oreille + buzz positif) - Déc. 2021