« Le recrutement des administrateurs indépendants est un recrutement professionnalisé »
Publié par Martine Fuxa le - mis à jour à
En marge de l'événement « BE ON BOARD », lancé Patrycja Mothon (à gauche), qui s'est tenu le 20 mars dernier à l'hôtel Vernet Champs Elysées, Anne Lange (à droite), marraine de l'événement, et administratrice indépendante au sein d'entreprises du CAC 40 revient en détail sur le rôle d'un administrateur indépendant. Décryptage.
Pouvez-vous vous présenter et nous expliquer en quoi consiste le rôle d'un administrateur indépendant?
Anne Lange : Je suis administratrice professionnelle depuis quelques années, au sein de quatre sociétés, Pernod Ricard, Inditex (la maison mère de Zara), Orange et la société d'investissement de la famille Peugeot. La nomination comme administrateur-trice reconnaît un parcourt de carrière qui varie selon les besoins de l'entreprise mais valorise toujours une expérience bien spécifique. En ce qui me concerne, j'ai été reconnue assez tôt comme une spécialiste du digital et de la transformation des entreprises, un sujet vite jugé critique au sein des entreprises. De fait, j'ai réalisé toute ma carrière dans le digital, essentiellement chez Cisco. Puis comme entrepreneuse, j'ai créé ma propre société d'informatique et ma plateforme de software. Aujourd'hui, je suis à la fois administratrice, entrepreneuse du digital, et business angel.
Pourriez-vous décrire de manière didactique le rôle d'un administrateur indépendant, ce qui est attendu de lui, le temps nécessaire à accomplir ses missions...
Anne Lange : Les grandes sociétés cotées exigent d'avoir au moins pour moitié des administrateurs indépendants. L'administrateur indépendant, c'est celui dont la liberté de jugement ne peut pas être altérée par un événement externe à son rôle d'administrateur, qui pourrait être le fait d'être salarié, membre de la famille actionnaire de l'entreprise, ou encore le fait d'être en relation d'affaires avec l'entreprise dans une proportion qui altèrerait son indépendance.
L'administrateur doit prendre du recul sur les sujets amenés à l'agenda par le Président et le Directeur Général, et avoir une vue sur ces sujets-là, finalement aussi altruiste, et détachée des contingences de l'entreprise que possible, dans le seul but de servir l'intérêt de cette dernière.
Plus la société est grande, plus le rôle est prenant, par la complexité des sujets et leur nécessaire approfondissement. Au sein de sociétés du CAC40, nous tenons entre 8 et 10 conseils par an. Et nous avons autant de comités, sachant que chaque administrateur est membre d'un ou deux comités, des réunions de préparation du conseil d'administration.
Comment êtes-vous venue à ce rôle d'administrateur?
Anne Lange : Pour moi, cela a été très naturel. J'ai démarré ma vie professionnelle comme haut fonctionnaire à ma sortie de l'ENA et il se trouve que j'ai été administrateur, représentante de l'État, au sein d'une entreprise publique dès l'âge de 25 ans. C'est un cas très particulier, normalement c'est toute une carrière qui mène à rentrer au conseil d'administration d'une entreprise car le rôle requiert une évidente maturité....
Quel a été l'impact de la féminisation des conseils d'administration ?
Anne Lange : La féminisation des conseils a conduit à leur professionnalisation. En effet lorsque les conseils ont dû introduire des femmes, ils sont passés d'un modèle de coopération entre « amis » à un modèle satisfaisant des règles de diversité. Et ceci dans un temps assez court, puisque les entreprises ont eu 2 à 3 ans pour parvenir à cette diversité, et pour monter à 40% de femmes. Il a fallu professionnaliser, recourir à des chasseurs de tête et donc définir des profils de poste, de compétences requises...
Au fil du temps, même quand la parité était respectée, ce mode de fonctionnement est resté. Aujourd'hui, systématiquement, le recrutement des administrateurs est un recrutement professionnalisé à travers une chasse de tête, une description de profil et donc une définition d'expertise qui correspond au besoin de l'instant de l'entreprise. Cela peut être de renforcer la compétence financière, la compétence de dirigeant d'entreprise, ou encore la compétence développement durable, etc.
Les compétences marketing sont-elles recherchées dans les profils d'administrateurs indépendants?
Anne Lange : Une société opérant dans les biens de consommation va clairement vouloir renforcer l'expertise marketing de son conseil d'administration si à un moment donné elle juge que cette expertise n'est pas suffisamment représentée. Une entreprise dont les activités évoluent vers de nouvelles géographies comme l'Asie ou l'Amérique du Sud par exemple, va juger utile de rajouter dans l'expertise attendue de ses administrateurs la connaissance de ces zones géographiques. Tous les ans, les entreprises font une revue des compétences du Conseil d'administration, et identifient les compétences qui pourraient lui manquer...
Quels sont les réseaux de recrutement des administrateurs indépendants ?
Anne Lange : Le format de l'événement « BE ON BOARD » est un des formats pour faire se rencontrer des aspirants administrateurs. Ce réseau est une excellente porte d'entrée parce que le métier d'administrateur s'apprend avant tout dans l'expérience de la vie des affaires. Il y a bien sûr des règles juridiques, qui forme un corpus de gouvernance à connaître. On doit aussi s'approprier le mode de fonctionnement théorique d'un conseil. Les situations les plus complexes ne sont jamais celles qui ont été décrites dans le code des administrateurs. Pouvoir échanger, ce que je fais très régulièrement avec d'autres administrateurs confrontés à d'autres situations critiques, est extraordinairement formateur et enrichissant.
Quel est l'encadrement juridique du mandant d'administrateur indépendant ?
Anne Lange : En France, la loi fixe à 5 mandats le nombre maximum pour un administrateur indépendant qui n'est pas salarié d'une entreprise et à 2 mandats maximum pour un administrateur qui serait lui-même mandataire social ou salarié d'une entreprise. Mais les usages sont plus restrictifs que la loi, et les marchés financiers qui ont critiqué la sur-représentation de mandats jugent qu'un administrateur indépendant professionnel, ne peut pas avoir plus de quatre mandats.
Quelles sont les qualités requises pour cette mission ?
Anne Lange : C'est une mission de grande responsabilité qui requiert une aptitude à embrasser une vision stratégique de l'entreprise et de ses marchés, à manier l'analyse court terme et la corréler à l'analyse long terme. Le monde dans lequel nous vivons nous soumet de façon terrible au court-termisme. L'administrateur a pour mission fondamentale de servir les intérêts de l'entreprise durablement, donc sur le long terme, mais en la protégeant des contingences présentes. C'est un délicat travail d'équilibre.