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[Tribune] Personnalisation : hyper-ciblée, hyper-efficace, hyper-flippante ?

Publié par Sébastien Brocandel, Agence Dékuple le - mis à jour à

On vous l'a promis comme la pierre philosophale du marketing : des messages ultra-ciblés, une conversion qui explose, une relation client optimisée à l'extrême. Quand je dis "on", mes acolytes en agence et moi-même... Et on ne va pas vous mentir... ça fonctionne ! Les chiffres parlent d'eux-mêmes : +40 % de revenus pour les entreprises qui misent sur la personnalisation, +77 % de part de marché pour celles qui soignent l'expérience client avec du contenu taillé sur mesure.

La question n'est donc plus comment être plus performant grâce à la personnalisation, mais jusqu'où aller sans effrayer nos audiences. Entre performance marketing et respect de l'expérience utilisateur, où placer le curseur pour éviter l'effet Big Brother ? La frontière entre pertinence et "stalking" digital est fine.

D'autant plus que les consommateurs sont paradoxaux et nous rendent chèvre : ils veulent des contenus adaptés à leurs goûts mais paniquent quand la précision devient trop troublante. Ils militent pour plus d'authenticité tout en adorant les influenceurs filtrés. Ils dénoncent la publicité invasive mais refusent de payer pour du contenu sans pub.

Cette schizophrénie, nous la gérons au quotidien. Notre mission ? Personnaliser sans faire flipper !

L'hyper-ciblage : entre ultra-performance et malaise client

L'essor de l'IA et du big data a fait passer la personnalisation d'un atout à un art quasi chirurgical. Analyse fine des comportements, prédictions d'achats, retargeting ultra-segmenté... Aujourd'hui, nous savons identifier avec une précision redoutable ce que veut un consommateur, avant même qu'il ne l'exprime.

Et les résultats sont là : plus d'engagement, des taux de conversion qui bondissent, un coût d'acquisition qui fond. J'en suis le témoin : récemment, nous avons optimisé les campagnes social media d'un client grâce à une personnalisation plus poussée (nouveaux personas identifiés, contenus ultra-affinitaires, ajustement des messages). Verdict ? +50 % de clients en six mois et une chute du CPC.

Sur le papier, c'est parfait. Dans la réalité, nous devons rester vigilants. Car plus une marque semble "lire dans les pensées" de ses clients, plus elle court le risque de les faire fuir.

Prenons des exemples concrets. Vous recherchez une paire de baskets rouges sur un site, vous hésitez, vous refermez l'onglet. Dix minutes plus tard, votre fil Instagram vous bombarde de pubs pour cette même paire, dans toutes ses déclinaisons. Vous aviez un doute ? L'algorithme a décidé de le lever pour vous.

Encore plus fort : vous avez évoqué avec un ami votre envie de vous mettre au surf. Le lendemain, sans même avoir cherché quoi que ce soit, vous recevez des recommandations de planches, de combinaisons et même des cours d'initiation à Biarritz. L'impression d'être lu dans vos pensées ? Non, juste des signaux faibles captés par des IA toujours plus affûtées. Cela dit, on n'est jamais contre une promo sur un TGV pour le Pays basque...

Et puis il y a le retargeting poussé à l'extrême. Imaginez : vous cherchez un cadeau de Saint-Valentin et quelques minutes plus tard, votre moitié reçoit une pub ultra-ciblée lui suggérant "le parfum que votre partenaire aimerait vous offrir" . Surprise gâchée, romance brisée, merci la personnalisation !

L'intelligence humaine : la clé pour éviter la prison algorithmique

Au-delà de ces exemples cocasses, il y a un écueil plus sournois : la prison algorithmique. Trop de prédictivité enferme les consommateurs dans un tunnel de contenus calibrés pour eux, sans surprise ni diversité. Résultat : on ne voit plus que ce que l'algorithme veut bien nous montrer. On écoute les mêmes artistes, on regarde les mêmes séries, on achète les mêmes produits. Notre mode de vie se standardise à mesure que l'on réduit ses choix à ceux d'un persona.

C'est là que les agences ont un rôle essentiel à jouer. Data analysts, planneurs stratégiques, directeurs de création, concepteurs-rédacteurs... Autant d'expertises qui permettent de contrebalancer la froideur des algorithmes et d'éviter d'enfermer le consommateur dans un déterminisme digital. L'intelligence humaine est là pour respecter l'équilibre entre pertinence et ouverture, personnalisation et exploration. Parce qu'un marketing efficient ne doit pas juste prédire, il doit aussi inspirer.

D'où l'importance de remettre du bon sens dans la mécanique. L'IA et les données sont évidemment des outils, pas une fin en soi.

Les 5 règles d'or d'une personnalisation efficace et respectueuse

1 - Appliquer le principe du "consentement éclairé" et informer clairement sur l'usage des données (RGPD, préférences de ciblage).

2 - Jouer sur la contextualisation plutôt que sur la répétition qui tue l'engagement : un message bien placé et un discours adapté selon l'étape du parcours client valent mieux qu'un matraquage publicitaire.

3 - Valoriser l'utilité plutôt que la collecte de données massives : proposer des recommandations basées sur les interactions récentes, plutôt que sur des prédictions intrusives. Éviter la sur-segmentation qui cloisonne l'utilisateur dans un univers figé ou entretient tout un tas de stéréotypes.

4 - Éviter l'effet "Big Brother" en maîtrisant l'hyper-ciblage. Paradoxalement être trop efficace technologiquement peut nuire : afficher immédiatement une pub après une simple recherche est le plus souvent perçu comme trop intrusif.

5 - Privilégier la personnalisation "pull" plutôt que "push" qui donne l'initiative à l'utilisateur, par exemple, via des recommandations activées uniquement sur demande.

Personnalisation et branding : un équilibre à préserver

L'hyper-ciblage aussi performant soit-il ne doit pas faire oublier l'importance du branding. Une marque forte ne repose pas uniquement sur la data, mais aussi sur une identité, une vision, un message qui dépasse l'individualisation des contenus.

Aujourd'hui, une marque forte repose sur l'articulation entre branding et marketing de performance. C'est cette conviction qui motive mon travail dans une agence hybride, réconciliant les stratégies créatives et la performance marketing. Car un message ultra-créatif mais mal ciblé, c'est de l'argent gaspillé. À l'inverse, un ciblage ultra-précis avec un message insipide, c'est une opportunité manquée.

C'est l'enjeu contemporain pour les agences qui conseillent les marques : ne plus travailler en silos et décloisonner nos métiers pour faire se rencontrer deux mondes qui semblaient irréconciliables : celui des données et celui de la création.

C'est ainsi que nous, agences responsables, membres de l'AACC, matures technologiquement et ambitieuses créativement, pouvons proposer les expériences les plus immersives, interactives, engageantes et respectueuses.

L'excellence, ce n'est pas seulement d'optimiser la conversion. C'est de savoir où s'arrêter. Une marque qui devine tout de ses clients finit par ne plus les surprendre. Or, l'émotion, l'inattendu et la spontanéité sont les derniers territoires d'une relation client réussie. C'est ce qui est le plus précieux à cultiver en agence et qui implique de refuser de nous enfermer, comme nos audiences, dans des cadres trop prédictifs.

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