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Régulation de l'influence : qu'en pensent les marques, agences et créateurs ?

Publié par Floriane Salgues le - mis à jour à

L'influence, un Far West ? Alors que le ministère de l'Économie s'est saisi de la régulation du secteur, les acteurs du marketing d'influence font part des bonnes pratiques déjà à l'oeuvre, à l'instar des Chartes déployées par les marques ou du Certificat d'influence responsable de l'ARPP.

Chahuté par les uns - le rappeur Booba en tête et sa vendetta menée contre l'agente d'influenceurs Magali Berdah (Shauna Events) et, plus largement, contre les "influvoleurs" (contraction des mots "influenceurs" et "voleurs") - et défendu par d'autres comme étant en proie à trop de caricatures... Le secteur de l'influence vit un moment charnière. Une régulation de ses pratiques était-elle donc devenue impérative ? C'est, en tout cas, l'avis du ministère de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique.

Dès le mois de décembre 2022, le ministère de Bercy a organisé une table ronde avec des agences d'influenceurs, des associations de consommateurs et les agences publiques (DGCCRF et AMF, notamment) dans l'objectif d'encadrer ce secteur jugé "opaque" et au sein duquel se multiplieraient les arnaques et les situations d'exil fiscal. Puis a mené, du 8 au 31 janvier 2023, une grande consultation publique sur le métier de l'influence et de la création de contenu pour "en éclairer le contour et en poser le cadre" - consultation à laquelle près de 19 000 personnes ont participé et qui devrait donner lieu à des mesures dévoilées par le ministère de l'Économie le 20 mars prochain. Mais qu'en pensent les principaux concernés ?

"Un besoin de légiférer sur l'influence"

Pour Thomas Van't wout, cofondateur de l'agence de marketing d'influence Bolt Influence, "le besoin de légiférer est bien réel, car l'image du secteur, ternie par Magali Berdah, était déplorable". Même s'il n'était pas présent à la table ronde de Bercy en décembre dernier, Thomas Van't wout a suivi les échanges de près et se dit "surpris" des propositions faites. "Le ministère de l'Économie semblait avoir déjà des propositions avancées et ce, avant même de commencer cette réunion préparatoire et de discuter avec les acteurs réunis." Résultat, pour le cofondateur de Bolt Influence, "beaucoup de redites avec l'existant, notamment sur les mesures d'encadrement du métier d'influenceur et des collaborations, déjà pris en charge par l'ARPP (l'Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité, N.D.L.R.)". Mais, constate-t-il, il existe tout de même "un vrai challenge à relever dans la proposition de loi pour définir ce qu'est un influenceur : est-ce le nombre d'abonnés et une présence uniquement sur les réseaux sociaux qui font l'influenceur ou est-ce que des personnalités comme Kylian Mbappé ou des médias tels que Brut peuvent être considérés comme des influenceurs ?" Pas facile de trancher...

La créatrice de contenus Maddy (Maddys_Healthy sur TikTok / 1,4 million d'abonnés), représentée par l'agence Bolt Influence, est elle-aussi favorable à une régulation du marché de l'influence "qui pourrait aider les créateurs de contenu à trouver leur place". "Alors que nous nous battons tous les jours pour imposer notre démarche de création comme étant un vrai travail, la loi permettra de faire de la pédagogie sur notre métier auprès de la société et de l'expliquer concrètement avec davantage de transparence", poursuit-elle. Une loi pourrait aussi permettre de redonner une ligne de conduite à certains influenceurs dont l'audience, jeune, les oblige à "agir avec éthique, ce qu'ils ne font pas toujours".

"Redonner une crédibilité aux partenariats"

Une loi, pourquoi pas, mais priorité surtout à la concertation, prône de son côté Margaux Bouquet, Influence Senior Manager au sein du groupe Accor, "car il y a nécessité que tous les acteurs impliqués dans l'influence se coordonnent". "Il s'agit de redonner aux professionnels du secteur une crédibilité quant aux partenariats entre les marques et les créateurs de contenu pour lesquels il y a de vrais enjeux de calculs de ROI et de visibilité pour les marques", explique-t-elle.

La création de l'Union des métiers de l'influence et des créateurs de contenu (UMICC), le 18 janvier dernier, s'inscrit dans cette logique. À l'initiative de cette "fédération", sept agences du marketing d'influence (Bump, Follow, Influence4You, Point d'Orgue, Reech, Smile Conseil et Spoutnik), bien décidés à réguler par elles-mêmes le marché de l'influence en proposant "les évolutions et réformes nécessaires aux pouvoirs publics afin que le secteur de l'influence bénéficie d'un environnement adapté à son développement et faciliter le travail quotidien des créateurs de contenu en les aidant à connaître leurs droits et devoirs", explique l'UMICC qui vise à fédérer plus largement. Plusieurs agences, dont la dernière en date Effinity, ont ainsi adhéré à l'Union en s'engageant à respecter une charte de bonnes pratiques - l'UMICC se réserve le droit de radier les membres qui ne respecteraient pas les règles, comme l'établissement d'une résidence fiscale en France pour les agences (et dans l'Union européenne pour les créateurs de contenu). "Cette fédération va permettre de professionnaliser le métier, se réjouit Thomas Van't wout, et de bien nous représenter".

La fondatrice de Shauna Events, Magali Berdah, tenue responsable des dérives du secteur, n'entend pas être mise à l'écart. Pour restaurer sa réputation, elle a annoncé le 7 mars la création d'une structure au nom à la ressemblance troublante avec l'UMICC : la FICC pour Fédération des Influenceurs et des Créateurs de contenus. "Cette Fédération a pour ambition de rassembler l'ensemble des influenceurs responsables et désireux de s'engager à respecter une charte de bonnes pratiques. La FICC se chargera de contrôler le bon respect de cette charte par ses signataires, sous peine d'exclusion", indique un communiqué de presse. Pas sûre que cela suffise à se racheter une crédibilité...

Des initiatives vertueuses déjà déployées

Le ministère de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, pourrait s'inspirer des initiatives vertueuses déjà à l'oeuvre dans le secteur de l'influence. En la matière, la marque Accor fait partie des exemples à suivre. En 2018, le groupe a créé une charte "qui engage Accor auprès des créateurs", partage Margaux Bouquet. "Le groupe s'engage à respecter la ligne créative du créateur ou les délais de production, par exemple et, en contrepartie, l'influenceur s'engage à bien modifier le contenu s'il n'est pas cohérent par rapport à la marque, détaille l'Influence Senior Manager du groupe Accor. "L'influence doit être un accord tripartite entre influenceur, agence et marque. Il ne faut pas considérer que les dérives peuvent venir des seuls influenceurs, les annonceurs n'en sont pas exemptés", relève-t-elle. L'objectif, inscrit en en-tête de ce "règlement", dit tout pour Margaux Bouquet : "Construire une relation pérenne et de confiance avec les influenceurs, en privilégiant la transparence et l'authenticité." La charte, disponible en open source, fait partie d'un "kit" d'influence mis en place pour cadrer les pratiques au niveau du groupe, avec des lignes directrices pour acter comment démarrer une campagne d'influence (dont la première guideline est de définir son objectif). Un template de contrat a également mis en place avec le service juridique ; ainsi qu'un template de brief et de reporting pour être au clair avec les influenceurs.

D'ailleurs, la charte a été conçue en collaboration avec l'ARPP, dont fait partie le groupe Accor. Un gage de sérieux et de sérénité pour la marque. "L'ARPP a un droit de regard et de validation sur nos campagnes. Nous pouvons, par exemple, envoyer notre concept à l'Autorité qui va s'assurer que nous sommes en adéquation avec les régulations comme la loi Evin. C'est un garde-fou car nous ne sommes pas à l'abri d'une méconnaissance", explique Margaux Bouquet, qui aime aussi échanger avec ses homologues d'autres secteurs pour se nourrir des bonnes pratiques créatives et échanger sur les indicateurs de mesure.

L'ARPP propose également aux créateurs de contenu d'obtenir un "Certificat de l'Influence Responsable". Maddy a passé la certification en début d'année 2023. "Beaucoup de marques le demandent, cela permet aux uns et aux autres de se rassurer dans un marché dynamique", remarque-t-elle. Une piqûre de rappel pour la créatrice de contenus. "La certification permet de donner les bases à ceux qui ne les auraient pas, comme l'indication de l'hashtag sponsorisé, et d'enrichir les autres d'informations plus théoriques à l'instar de chiffres sur l'environnement, la société. Beaucoup de créateurs devraient passer cette formation", conseille-t-elle. Au 15 septembre 2022, l'ARPP dénombre plus de 150 influenceurs certifiés.

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