Pour gérer vos consentements :

[Tribune] Les dark stores vont-ils envahir durablement nos centres-villes ?

Publié par La rédaction le - mis à jour à

Dans cette tribune, Pascal Malotti, Business Development & Strategy Director de Valtech France, s'interroge sur l'implantation des dark stores dans le centre des grandes villes et la tendance croissante pour ce modèle.

Depuis quelques années, cette nouvelle proposition de courses livrées à domicile en moins de quinze minutes semble rencontrer de plus en plus d'adeptes, si l'on en croit la multiplication des scooters aux couleurs de Getir ou de Gorillas, pour ne citer qu'eux, dans les grandes villes françaises. Ce nouveau modèle est-il en passe de supplanter les bonnes vieilles livraisons à domicile des acteurs historiques de la grande distribution ou s'agit simplement d'une bulle, née avec la pandémie et l'engouement pour l'e-commerce qu'elle a suscité, amenée à disparaitre aussi vite qu'elle est apparue ?

Quand Amazon rencontre Hyperloop

Si la recherche de la vitesse et de la rapidité n'est pas un phénomène nouveau, c'est certainement au moment de la révolution industrielle avec des entrepreneurs comme Pryce Pryce-Jones (1) qu'elle prend un tournant clé dans la conception même du commerce. Quelques décennies plus tard, elle continue de régner sur la notion d'efficacité, encourageant le géant Amazon, par exemple, à en faire l'un de ses principaux arguments concurrentiels.

Ce constat est depuis largement partagé dans tous les domaines où la livraison est centrale et la réduction des délais un impératif toujours plus fort. La distribution alimentaire ne fait évidemment pas exception à la règle comme en témoigne cette montée en puissance des dark stores.

Pourtant, vont-ils réussir à durablement s'installer dans nos centres-villes ? La tâche sera ardue et de nombreux acteurs risquent d'y laisser des plumes, voire disparaitre complètement. Car l'enjeu principal pour ces nouveaux boutiquiers de la livraison express est de taille : réussir à atteindre la rentabilité. Pour fonctionner efficacement il leur faut investir massivement dans les ressources humaines, avec de nombreux livreurs pour faire face à la demande mais aussi créer un habile maillage d'entrepôts - le magasin lui-même - dans les zones très urbanisées, sans compter, bien sûr, le marketing et la communication pour pouvoir résister face à la concurrence qui fait rage. D'autant plus qu'on ne s'implante pas dans le centre de Berlin comme dans le centre de Paris. Difficile donc d'imaginer une matrice unique qui puisse être dupliquée à chaque zone de chalandise.

De plus, la concurrence est fournie dans le domaine de la livraison à domicile avec les acteurs historiques de la distribution qui investissent massivement dans leur écosystème omnicanal, Amazon acteur omniscient avec 110 centres de logistique aux États-Unis et 185 dans le monde sans oublier un Uber qui a le potentiel de devenir le super acteur des services de proximité dans les centres-villes urbains.

Mais prenons le plus puissant de tout le champ concurrentiel : si Amazon a réussi à faire de la vitesse sa force, c'est grâce à « une taxe » sur les revendeurs utilisant sa Marketplace pour mieux financer le développement d'une logistique unique au monde dans son intégration verticale, devenant son propre logisticien de bout-en-bout, investissant dans sa flotte d'avions, ses bateaux de transport ou bien ses camions de livraison.

Avec cette dime de près de 34%, les investissements permettant d'assurer une livraison ultra-rapide lui sont quasi assurés. En comparaison, l'un des acteurs américains de ce nouveau marché du dark store, Jokr, a perdu 13,6 millions de dollars pour des recettes de seulement 1,7 millions sur les 6 premiers mois de l'année 2021 dont l'un des fondateurs, Ralf Wenzel, se prétend être le futur Amazon. Pourtant, le point d'équilibre largement atteint par le géant Amazon est encore loin.

Ce qui n'empêche pas les dark stores de susciter un engouement massif auprès des investisseurs. En 2021, ils ont levé pas loin de 6,5 milliards de dollars selon des estimations de marché, soit les plus grosses levées de fonds de l'année dernière toutes catégories confondues. Difficile donc d'imaginer que le phénomène vienne à disparaitre, d'autant plus que ce standard d'immédiateté, maintenant qu'il a été expérimenté par de nombreux consommateurs, risque de faire date.

En 2015, le standard de la livraison était entre 5 et 3 jours, il est ensuite descendu à un délai de 1 jour à 2 heures en début de pandémie pour être entre 15 et 10 minutes deux ans après. Gorillas a déjà crevé le plafond des 10 minutes pour effectuer des livraisons en 8 minutes chrono et l'on pourra difficilement faire mieux dans le futur. Ainsi, on peut néanmoins s'interroger sur les limites du modèle. Cette course effrénée à une réduction toujours plus marquée des délais est-elle pérenne dans le temps, tant pour les salariés que pour le business lui-même ?

(1) Homme d'affaires. Sir Pryce Pryce-Jones (16 octobre 1834 - 11 janvier 1920) était un entrepreneur gallois qui a créé la première entreprise de vente par correspondance, révolutionnant ainsi la façon dont les produits étaient vendus.


À propos de l'auteur :

Pascal Malotti est Business Development & Strategy Director de Valtech France.

La rédaction vous recommande

  • Le quick commerce, un nouveau réflexe ?
  • [Tribune] La crise laisse la place au " commerce augmenté "
  • Économie de la paresse... le quick commerce s'épuise-t-il ?
  • [Tribune] "Données et IA, un must de la Retail Tech en France"
  • Amazon va ouvrir son premier magasin à New-York