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Data, IA... Comment s'adapte le secteur des études ?

Publié par Barbara Haddad le | Mis à jour le

Multiplication des data, arrivée de nouveaux acteurs sur le marché... Les instituts doivent repenser leur rôle et leurs offres pour rester porteurs de valeur auprès des décideurs marketing.

Le marché des études poursuit sa mue. Deux phénomènes majeurs l'impactent. D'un côté, une multiplication massive et diversifiée des données accessibles, ce qui tend à rendre les décideurs marketing perplexes quant à la possible émergence d'insights opérationnels et d'une vision consumer unifiée. De l'autre côté, l'arrivée de nouveaux acteurs sur le marché des études, avec des approches plus technologiques et opérationnelles, tant dans la méthode de sondage que dans la forme de restitution des résultats. Ainsi, Guillaume Decugis, CEO de Linkfluence, vient-il appuyer le constat d'une nouvelle volumétrie étourdissante de données accessibles : "Nous captons aujourd'hui, en temps réel et par jour, plus de 250 millions de contenus publics, Web traditionnel ou Web social, Instagram, Facebook, notamment." Sabra Mieli, directeur solutions clients GfK Europe du Sud, constate l'impact que ces évolutions ont sur le marché des études : "Nous assistons à une véritable mutation avec, d'une part, des instituts traditionnels et, d'autre part, l'arrivée de nouveaux acteurs, plus technologiques. Il y a donc pour chacun un enjeu de se réinventer et d'innover." Pourtant, malgré cette nouvelle fragmentation du secteur, nombreux sont les enjeux communs à toutes les sociétés d'études.

L'hybridation des données

C'est en quelque sorte le "buzz word" de l'année : l'hybridation des données. Il traduit pourtant une réalité, celle du nouveau rôle que doivent endosser les instituts d'études, "unificateurs et intégrateurs de ces données hétérogènes, pour qu'elles puissent se parler, et créer ainsi des ponts entre tous les types et sources de data", explique François Baradat, directeur marketing de Kantar. L'enjeu est de réussir à structurer des données issues aussi bien de la navigation web ou de l'analyse sémantique des réseaux sociaux que des bases de données CRM ou de précédentes études : "Nos clients ont accumulé de nombreuses données, mais leur organisation en silos ne permet pas une vision stratégique globale. Nous proposons donc un accompagnement pour reconstruire une connaissance unifiée du consommateur, organisée à partir de l'ensemble des data disponibles et enrichie de nouveaux insights que nous fournissons", confie Yves del Frate, CEO CSA et data solutions d'Havas. Ainsi, l'institut CSA a-t-il développé une nouvelle offre, le "data check-up", qui consiste à réaliser un audit en trois semaines sur l'organisation des data et des outils de récolte (DMP, CRM... ) dans tous les services et qui aboutit à une roadmap de recommandations pour passer de la "data intelligence à la consumer intelligence", précise-t-il.

Un point de vue que partage Stéphane Truchi, président d'Ifop. "On n'est plus uniquement dans la collecte et l'analyse de la data : il faut désormais être aussi en mesure de la structurer." Philippe Le Magueresse, directeur général adjoint d'OpinionWay, illustre : "L'hybridation de données déclaratives avec d'autres sources de données apporte une compréhension augmentée des enseignements de l'étude. Ainsi, une enquête déclarative auprès d'un fichier de clients d'un retailer renseignés sur leurs données CRM permet de mieux comprendre les différents segments de clients et d'engager des actions de marketing direct différenciées." L'institut Gfk propose, lui, une offre sur le parcours d'achat "Consumer Insights Engine" : "Pour générer les insights, nous intégrons les données déclaratives shopper, actualisées tous les trimestres et enrichies de mesures passives online sur le comportement réel de recherche et d'achat des shoppers, ainsi que de l'analyse des avis clients émis online", explique Nathalie Bolle, Regional Consumer Insights Director de GfK.

L'intervention de l'intelligence artificielle dans le traitement de toutes ces données est alors indispensable, pour l'analyse des milliers de verbatims sur le Web, pour l'apprentissage de la détection des émotions ou pour la définition de modèles prédictifs, conçus sur un modèle apprenant et une logique itérative. Reste la question de la fiabilité des données utilisées : "Il y a une responsabilité sur la qualité de la donnée utilisée dans nos études. Il est impératif de se questionner sur son origine, ses conditions de récolte, pour certifier sa fiabilité ... C'est ce que l'on appelle la datadéontologie'", indique Assaël Adary, président du cabinet d'études et de conseil indépendant Occurrence. Raphael Clave, VP sales Dynata France, complète :"Dans ce nouveau contexte RGPD, nous devons nous assurer du consentement des consommateurs pour récupérer leurs données, et ce, même dans un contexte passif, comme avec l'apposition de cookies pour l'analyse de leur navigation."

Fini le temps où les décideurs marketing étaient prêts à attendre, quel que soit le sujet d'étude, des mois pour avoir de premiers insights. "Ils ­souhaitent pouvoir comprendre leurs consommateurs à la vitesse du Web, à l'heure où les comportements changent vite", observe Guillaume Decugis. Nombreux sont alors les instituts à développer des offres "take away", à l'instar de Harris Interactive avec sa gamme NPD Express, qui propose un ensemble de solutions rapides, avec une livraison sous 48 heures à une semaine selon la problématique et la cible : "Notre gamme de produits Express répond aux besoins de rapidité, d'agilité et de coût optimisé attendus par nos clients", déclarent Nathalie Perrio-Combeaux et Patrick Van Bloeme, co-présidents de Harris Interactive France.

De l'observation aux études opérationnelles

Passé l'impératif de rapidité, les études délivrées doivent surtout permettre, désormais, de dégager des actions immédiatement activables : "Il y a une réelle demande de recommandations concrètes, notamment sur des modèles prédictifs : si je gagne un point sur tel KPI, cela va permettre de générer X ventes en plus", analyse Sabra Mieli. Ceci impacte directement la forme des livrables, les 150 pages de présentation classiques laissant de plus en plus la place à des livrables conçus pour passer à l'action, sous forme d'images, d'infographies, de vidéos ou de dashboards. "Les clients sont en attente de nouvelles façons de présenter les résultats, ceci afin d'intégrer les insights dans les processus décisionnels, et d'avoir une matière première pour animer des réunions transverses et workshops décisionnels", constate Nathalie Perrio-Combeaux, co-CEO Harris Interactive France & ITWP France. Gfk a également présenté, lors du Mobile Word Congress 2019, une nouvelle application mobile, co-construite avec ses clients et qui permet aux décideurs marketing d'accéder de façon rapide et efficace aux résultats d'études. Chez Happydemics, les rapports sont toujours associés à une vidéo et à une présentation orale. Ces nouveaux formats ont pour avantage de permettre une meilleure circulation de l'information en interne et le travail transverse entre les équipes.

Enfin, puisque l'attente est désormais celle d'une combinaison simultanée d'études et de recommandations, le profil des analystes en institut évolue : "Les collaborateurs doivent désormais être en mesure de pouvoir apporter une dimension conseil forte. Ils doivent donc être des experts sectoriels ou d'un type d'étude en particulier, ceci afin de bien comprendre les enjeux business, et les modèles économiques et de rentabilité de nos clients", insiste Patrick Van Bloeme, co-président ITWP France - Harris Interactive et Toluna. D'aucuns auraient pu alors penser que la montée en puissance de l'intelligence artificielle aurait affecté l'importance accordée à l'humain. Or, c'est bien un ­mouvement inverse qui émerge : "Les équipes sont importantes tant en amont, pour structurer la donnée, construire des modèles d'étude et les tester, qu'ensuite sur l'interprétation des résultats et les recommandations", confirme Assaël Adary.

L'évolution des techniques d'analyse et l'accessibilité à de nouveaux formats de contenus, comme les photos postées sur les réseaux sociaux, permettent aujourd'hui aux instituts de proposer de nouveaux types d'études, comme l'analyse visuelle : "Cela permet de toucher le réel des consommateurs : dans quel contexte est utilisée la marque ? Ceci peut alors être source d'insights pour la création ou l'adaptation de produits, ou la mise en place de nouvelles campagnes médias ou d'influence", commente Guillaume Decugis. L'objectif étant de pouvoir observer, décrypter et mieux comprendre les attitudes et comportements des consommateurs, cela peut aussi passer par l'analyse des émotions devant un spot publicitaire. Essentiel quand on sait qu'un contenu est mieux mémorisé s'il a suscité une émotion. Mais, attention à ce que celle-ci ne fasse pas oublier ce qui a été vu ou vécu. Gfk a développé l'offre EMO Sensor, permettant de déterminer si une personne a ressenti, ou non, une émotion et, si oui, laquelle ou lesquelles, face à une publicité. D'autres instituts, à l'instar d'Init, privilégient une approche customer centric, centrée sur l'analyse de l'ensemble de l'expérience client : "Il est essentiel d'identifier tous les moments clés de l'expérience client afin d'aboutir à une vision globale et consolidée du parcours. D'où l'importance de conserver des baromètres à froid, complémentaires des dispositifs de feedback à chaud menés toute l'année, et d'aboutir à une complémentarité des écoutes", assurent Nadine Garrabet et Stéphanie Passareira, directrice générale adjointe d'Init.

Nathalie Perrio-Combeaux conclut : "Nous assistons à un marché qui prend deux vitesses : le temps décisionnel très court et très rapide, pour mesurer l'impact de campagnes ou pré-test d'un concept, et des études plus longues et plus complexes afin d'aller dans la compréhension complète d'une problématique." Les annonceurs tendent aussi vers la commande d'études plus longues, avec la constitution de communautés permanentes interrogées sur l'année, dans une logique de prospective. "Dans un contexte de grande incertitude, Ifop ­s'efforce de redonner aux études leur valeur première : la capacité à appréhender le réel, à décrypter, à donner du sens, à anticiper l'avenir pour, in fine, nourrir, inspirer et sécuriser les décisions", revendique Stéphane Truchi, montrant ainsi l'importance de pouvoir prendre du recul et développer une vision prospective. Ce qu'appuie Assaël Adary : "Notre rôle en tant qu'institut est aussi sociétal : comment pouvons-nous, grâce à notre vision transverse, aider à la compréhension de phénomènes sociétaux ou à la mise en lumière de tendances émergentes."

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