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Charlotte Tortora : "Remettons les études au coeur du réacteur"

Publié par Charlotte Tortora le | Mis à jour le

Digitalisation, dictature du court terme, pression budgétaire, "fast-research"... Face à la mutation du métier, il est nécessaire, pour Charlotte Tortora, de revaloriser les compétences des "gens d'études".

Charlotte Tortora, qui a créé CH2 Conseil, s'exprime sur l'évolution du métier des études.

"Le monde a changé, il est désormais inimaginable d'infliger une présentation études de trois heures. Révolution digitale, accélération des cycles, perte de visibilité... ces grands bouleversements remettent en question le rôle même des études au sein de l'entreprise. Il y a 10-15 ans, le métier reposait sur des bases simples : nous organisions des "grands messes bilan et perspectives" et tout le monde ressortait avec les idées claires sur les enjeux et les axes de travail. Bien menées et avec les ressources adéquates, les études marketing étaient une science exacte.

L'arrivée du digital a profondément bousculé le métier. Une quantité exponentielle de données nous submerge et l'esprit humain ne peut plus tout appréhender. Logiquement, nous passons le relais aux ordinateurs jusqu'au fantasme de l'analyse passive des comportements qui nous prédira les achats à venir. Les machines font des analyses automatiques et tous les départements de l'entreprise entrent en contact avec le client, ouvrant un incroyable champ d'innovation collaborative. Les études ne sont plus l'unique portail d'accès vers le consommateur, tout le monde manipule des "insights" et interprète à sa façon les attentes exprimées.

A cela s'ajoute une dangereuse dictature du court terme qui nous impose des courts-circuits: réduction des délais et restrictions budgétaires... une pression parfois justifiée, mais aussi une impatience devenue un réflexe. L'urgent passe avant l'important et on fait de la "fast-research", au risque de perdre en fiabilité et en crédibilité.

Bien sûr, les démarches doivent être plus agiles et apporter du feedback en temps réel, mais certains processus de maturation sont incompressibles. De la même façon qu'il faut quatre heures pour digérer ou neuf mois pour accoucher, il faudra toujours un minimum de temps pour résoudre une problématique avec de l'intelligence humaine.

C'est d'autant plus essentiel que le climat actuel est caractérisé par une angoissante perte de visibilité. Pessimisme ambiant, ras-le-bol général, avenir incertain, moindre maitrise de la communication... Les dirigeants doivent naviguer à vue et cela favorise des écueils que nous connaissons bien: le mode "ceinture et bretelles", qui consiste à tout tester, laissant en quelque sorte la décision aux consommateurs. Et le mode " rouleau compresseur", qui prend des risques pour innover, mais surtout sans interroger les clients pour ne pas être freiné !

Notre enjeu collectif est de préserver un juste milieu : des études pour nourrir la vision des dirigeants et sécuriser les plans d'action, des études pour faire le tri dans un océan de données contradictoires et donner un sens de lecture, des études pour impliquer les parties prenantes et co-construire une feuille de route. Au delà des outils d'études, il s'agit de mettre à profit les compétences des gens d'études. En tant qu'experts, nous devons mobiliser nos deux cerveaux, écouter nos intuitions et notre subjectivité, tout en capitalisant sur nos capacités d'analyse et nos filtres rationnels.

Alors, nous serons sollicités pour faire ce que l'ordinateur ne pourra jamais produire : creuser nos méninges, mobiliser nos capacités émotionnelles, favoriser l'intelligence collective... et ainsi redevenir un acteur incontournable de l'entreprise, capable de donner de la visibilité et de l'énergie."

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