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"8 agences sur 10 pourraient disparaître dans l'indifférence générale": Jacques Séguéla (Havas)

Publié par Eloise Cohen le - mis à jour à

Témoin des évolutions du monde de la pub, Jacques Séguéla, cofondateur d'Euro RSCG, en a aussi été un visionnaire. Et pour le post-Covid, il exhorte ses pairs à incarner les valeurs émergentes de cette crise: la générosité, la solidarité et l'ingéniosité.

  • Est-ce déjà le moment de préparer l'après-crise?
  • Déjà, en préambule, pardonnez-moi de jouer les Socrate du pauvre : je sais que je ne sais rien et mes propos, si élémentaires, n'engagent que moi. Ce que je peux dire, c'est que les agences sont mutantes par essence. Elles se préparent au "Monde d'Après" depuis toujours. Mais le temps est venu de l'aborder selon les 2 vertus refondatrices : pragmatisme et humanisme.

    * Le pragmatisme exige en priorité de souder ses équipes: une agence est une famille tout autant qu'un business.

    * Puis de préserver ses talents. L'argent n'a pas d'idées, seules les idées font de l'argent, on connait la rengaine. Évidence s'il en est, comment ne pas associer à notre réflexion nos annonceurs, pas en béni oui-oui, mais en partenaire de la même passion. C'est pour eux et avec eux que nous changeons. Enfin nous devons voir loin: le court-termisme payera plus tard très cher. Sachons donner du temps au temps, François Mitterrand était plus moderne que nous le jugions. Reste le plus important: préserver l'âme de l'agence car elle seule est éternelle. Pour Havas, ce sera ainsi la meaningful difference.

  • Quels seront les principaux enjeux à relever?
  • Rester vivant. Ne resteront en vie que les agences qui sauront aider leurs marques à le rester. 80% d'entre elles sont mortes au siècle dernier, 80% d'entre elles mourront à la fin du nôtre. Déjà 8 sur 10 pourraient disparaître dans l'indifférence générale. Le plus sûr moyen de résister est d'incarner avec allant et talent, avec acuité et continuité, les valeurs émergentes de cette pandémie: la générosité en se battant pour une grande cause, la solidarité en entraînant les consommateurs dans ce combat, d'ingéniosité.
    A nouvelle conso, nouveau produit, à nouveau mode de vie nouveaux services, à nouveaux mode d'être nouvelle créativité. Et que cet ensemble débouche sur une création plus heureuse, plus respectueuse et plus encore plus sincère et plus simple, plus ludique et plus stratégique, plus affective et plus humaine. Quant à la suprématie du tout tech, elle vient de prendre une leçon de modestie. L'avenir est d'être hybride. Tech sans affect n'est que ruine de l'homme, pub sans idée est que ruine de la publicité.

  • Quelles sont les principales difficultés à anticiper? Et les atouts sur lesquels capitaliser?
  • Un: la récidive. Singapour et Wuhan sont à nouveau contaminés. Attendons-nous au pire, ne nous laissons pas surprendre une deuxième fois. Un confiné averti en vaut deux.

    Deux: la fébrilité. Nous avons guéri du virus, ce n'est pas pour changer de fièvre. Le déconfinement de la pub se fera par étape.

    Trois: la surenchère. "On ne change pas le monde, on le répare" écrivait Albert Camus. Ne nous prenons pas pour les pygmalions du Monde d'Après. L'humilité n'est pas une vertu très publicitaire. Elle devra s'y faire.

    Quatre: Le mondialisme. Il est aussi dangereux que le nationalisme. Il sera de rigueur de trouver l'équilibre.

    Cinq: C'était mieux avant. Le Français est plus casanier qu'il le croit, plus conservateur qu'il ne le pense, plus traditionnel qu'il ne le dit. La nouveauté lui fait peur, le changement le glace. La conversion sera lente et agitée.

  • A quoi devra ressembler, selon vous, le "monde d'après " de la publicité ?
  • Au meilleur du monde d'Avant, en espérant qu'il ne deviendra pas le pire du monde d'Après. Je ne serais pas étonné que la Pub d'Après renoue avec celle d'avant Avant. Cette pub spectacle des années 80, insouciante et joyeuse, ne sera ni admise ni comprise si elle ne se met pas au service des valeurs nouvelles. En étant sérieuse sans se prendre au sérieux. J'espère plus que tout que nous sachions continuer de faire aimer la pub. Elle est, elle a été, restera la poésie de la rue. Plus que jamais il est interdit de tuer les poètes.

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