Marques, misez sur le papier pour faire la différence
Publié par Floriane Salgues le | Mis à jour le
Autrefois passage obligé d'une stratégie marketing, le papier s'inscrit, à l'ère du digital, comme un canal différenciant. Presse, marques premium ou grand public y reviennent ainsi.
À l'heure de la smart data, des médias sociaux et du programmatique, faudrait-il tourner la page du papier ? Dès l'avènement d'Internet, certains oiseaux de mauvais augure prophétisaient déjà l'agonie des livres, remplacés par des liseuses et autres tablettes. Que nenni ! En 2015, 53 % des Français ont acheté au moins un livre papier et seuls 3,7 % un livre numérique, révèle la dernière étude de l'Observatoire de l'économie des livres. Les bibliothèques rayonnent... jusque dans les boutiques, à l'instar du pop-up store de Sonia Rykiel - mi-magasin, mi-café -, au coeur de Saint-Germain-des-Prés, où la collection de vêtements automne-hiver 2015-2016 côtoie quelque 40 000 livres. Les éditions Puf (Presses universitaires de France) innovent depuis la mi-mars, avec un concept de librairie original : tous les livres y sont imprimables à la demande, le temps d'un café.
Au rayon médias, si la plupart poursuivent leur mue digitale, certains misent sur le "print first", à l'image du 1, cofondé par l'ancien directeur du Monde Éric Fottorino et Laurent Greilsamer, et qui a fêté, le 29 mars 2016, ses deux ans. Comme un origami, l'hebdomadaire se déplie en une page composée de huit formats A4, soit 84 centimètres de print. Si la forme est soignée, le fond n'est pas en reste : chaque numéro explore à fond une thématique, permettant au lecteur d'échapper au flot d'actualité. "Un bel objet que l'on regarde", prônent ses fondateurs... et que l'on collectionne, comme tout bon papier. Au Royaume-Uni, The New Day, quotidien axé consommation et mode de vie, lancé en février 2016, fait lui aussi ce pari. Imprimé pour son lancement à 2 millions d'exemplaires et distribué dans 40 000 points de vente outre-Manche, le média affirme son positionnement sans site web ni application. Un pari osé ?
La presse généraliste de niche, un créneau porteur?
Le papier est mort, vive le papier !
Une campagne marketing a un impact plus fort lorsqu'elle met en oeuvre le binôme e-mail/papier.
"Le papier n'est pas mort. Symbole de lenteur et d'apaisement, il est au contraire de plus en plus essentiel dans un monde qui se digitalise", estime pour sa part Nathalie Gonzalez, directrice marketing et communication de Nespresso: "Une campagne marketing a un impact plus fort lorsqu'elle met en oeuvre le binôme e-mail/papier, analyse-t-elle. Vecteur d'émotion, ce dernier porte l'information jusqu'à la boîte aux lettres, dans l'intimité, et cela n'a rien d'anodin." Le Nespresso Magazine, envoyé à plus d'un million de personnes dans le monde deux fois par an, et traduit en sept langues, s'impose en fer de lance de la stratégie papier de la célèbre marque de café. " La première formule a vu le jour en 2004, dans l'idée de converser avec les membres du Club Nespresso, explique Lise Peneveyre, éditrice exécutive du magazine. Au départ très corporate et associée à la marque, à ses valeurs et à ses produits, la revue a évolué vers plus de contenu et de discrétion ", poursuit celle qui a piloté la refonte du titre, en 2010, avec un nouveau concept : le Nespresso Magazine se transforme en un "city guide" mettant en avant une ville - Paris, pour le premier numéro - et ses habitants. Avec succès : " Les retours de nos clients sont positifs, fait savoir Lise Peneveyre. Ils ont le sentiment de recevoir un cadeau de la part d'une marque généreuse. Nous sommes convaincus que le papier est un médium-clé pour nourrir la relation avec nos clients. "
La tendance a d'ailleurs été confirmée : ainsi, 74 % des Français pensent que les marques qui distribuent des échantillons en imprimé publicitaire sont généreuses (CSA). Jérôme Toucheboeuf, CEO de Mediapost Communication, société experte du marketing relationnel et de la connaissance client, et spécialiste de l'imprimé publicitaire et de l'échantillonnage, le confirme : le papier reste attractif pour ses clients et continue à être très utilisé, notamment dans la grande distribution. "Le papier n'a jamais disparu mais, en 2016, il se réinvente, explique-t-il, en se combinant désormais avec la data intelligence." D'ailleurs, "le digital n'a pas remplacé les actifs du papier, tels que la mémorisation, poursuit Jérôme Toucheboeuf. Mais il lui insuffle ce qu'il a de meilleur: un meilleur ciblage et une meilleure personnalisation". L'offre de retargeting postal proposée par Mediapost Communication va dans ce sens : combiner les data CRM à celles de navigation web, afin d'envoyer une offre personnalisée en boîte aux lettres à des prospects et des clients consentants et mieux ciblés, au bon moment. " Le taux de transformation du courrier publicitaire est, ainsi, 15 % supérieur au mailing traditionnel ", chiffre l'expert.
Envoi ciblé, performance améliorée
La personnalisation est le passage obligé, Nespresso l'a bien compris. Des mailings sont envoyés de deux à huit fois par an, en papier issu de forêts durablement gérées, selon les profils des membres du Club - digital, adepte du magasin ou de l'application mobile. "Ce sont de petits coffrets comprenant deux étuis, illustre Nathalie Gonzalez. L'un se compose de la capsule préférée du client et d'une création récente; l'autre, d'une édition limitée et d'une découverte. L'envoi est donc très personnalisé."
Le papier est un média différenciant pour initier la relation avec le client et la qualifier.
Au Brésil, le constructeur automobile Toyota a aussi pris le virage du mailing. Pour attirer l'attention sur la sortie de son modèle Corolla, en 2014, la marque a envoyé à quelques journalistes et influenceurs un mailing composé d'un feu tricolore changeant de couleur à mesure que la date de sortie du modèle se rapprochait, grâce à une puce électronique apposée sur le courrier. Les résultats aussi sont passés au vert : le trafic a augmenté de 257% sur le site web de la Corolla, quelque 500 000 personnes ont été touchées par l'opération, 900% de tests de véhicules en concession supplémentaires ont été effectués et 8 000 précommandes ont été enregistrées. "Le papier est un média différenciant pour initier la relation et la qualifier, pour faire connaître une offre et pour diffuser une information complexe", rappelle Virginie Fillion-Delette, déléguée générale de Culture Papier, qui note au passage une montée en puissance des papiers de création.
Soigner la forme pour valoriser le fond : les marques s'y mettent, "à l'instar de Super U ou de Lidl, note Caroline Villecroze, directrice marketing et innovation d'Adrexo, qui misent sur des papiers glacés, très qualitatifs, pour tirer leur épingle du jeu dans la tendance à l'uniformisation de la grande distribution". D'ailleurs, certaines marques ayant abandonné la publicité papier y reviennent, glisse Virginie Fillion-Delette. Et pour cause: les prospectus et les catalogues représentent le premier déclencheur d'achat (76%), quand plus de 7 Français sur 10 n'ont jamais acheté à la suite d'une publicité en ligne, révèle une étude réalisée par OpinionWay pour le compte de l'entreprise de logiciels Wincor Nixdorf, en septembre 2015. Laissez parler les petits papiers !