Jean-Marc Segati (Big Success) : "Soyez pragmatiques et continuez à communiquer !"
Publié par Clément Fages le - mis à jour à
Face à la vague d'annulation de campagnes qui fragilisent les médias, Jean-Marc Segati, dg de l'agence Big Success, appelle les annonceurs à passer de la sidération à l'action, en intensifiant leurs communications, sans quoi ils risquent de remettre en cause la pérennité de leur marque.
Quel premier bilan pouvez-vous tirer de cette crise ? Comment réagissent les clients de l'agence Big Success ?
Jean-Marc Segati : Nous avons eu des reports de campagnes à septembre, mais je pense personnellement que l'activité va reprendre avant. On peut considérer qu'avril est perdu et que mai est très incertain, mais il ne faut pas hésiter à s'organiser pour communiquer dès juin. Car la vie continue et avec elle la consommation. Il n'y a aucun cynisme de considérer qu'il faille tirer parti de la situation, au contraire, c'est presque un devoir citoyen. Notre écosystème ne survit que par le mouvement, on l'a particulièrement remarqué ces derniers jours. C'est vrai pour nous comme pour nos entreprises. Pour passer à l'action, il faut d'abord retrouver son calme et l'utilisation de ses méninges. Il n'y a rien de pire que la réflexion guidée par l'émotion. Il est probable qu'avant l'été presque toutes les activités auront repris leur cours. Pas tout à fait normalement, à cause du nombre de victimes et de dommages collatéraux, mais elles auront repris. Il en va toujours ainsi. Dans ce cas, le reste de l'année sera crucial. Chaque mois comptera double. Il n'y a donc aucune raison d'annuler les investissements prévus après mai-juin. Au contraire, le bon sens incite à les renforcer. Rappelons qu'au sortir d'une grave crise ou d'une guerre, d'une part il faut reconstruire, d'autre part le soulagement entraîne une frénésie de consommation. Les deux combinés provoquent un rebond économique proportionnel à l'ampleur du drame vécu. Les "30 glorieuses" en sont une parfaite illustration. Là encore, il ne faut pas être devin pour anticiper que les mois qui suivront la crise seront extrêmement favorables à tous ceux qui auront su adapter leur offre et leur communication.
Que répondez-vous aux marques qui craignent d'abîmer leur image en continuant à communiquer ?
Dans un premier temps, surtout éviter de heurter. Il y a deux phases successives : la sidération, puis l'acceptation. Tant que la sidération n'est pas passée, il faut se méfier de tout ce qui pourrait être assimilé à de la récupération. Inutile de préciser qu'une telle perception est très négative pour l'image de marque. Concrètement, la communication en phase de sidération doit correspondre à de l'information, éventuellement assortie d'un peu de divertissement désintéressé. Pour la publicité proprement dite, il faut attendre la phase d'acceptation. Ça tombe bien : l'information est guidée par le contenu et rapide à produire, tandis que la publicité a besoin de plus de temps de préparation pour s'adapter aux circonstances.
Même si elle ne dure que deux semaines, la phase de sidération nécessite une communication rapide, étant donné que toutes les habitudes sont chamboulées et que pour chaque entreprise des questions se posent : reste-t-elle ouverte ? propose-t-elle des livraisons ? A-t-elle adapté ses horaires ? peut-on commander ses prestations en ligne ? le délai de réponse est-il ralenti ? Les tarifs sontils modifiés ? Des compensations sont-elles accordées ? Des gestes commerciaux voire des secours sont-ils envisagés ? Pour être efficace, cette communication informative doit être diffusée le plus tôt possible, sur tous les canaux qui sont utilisés par les partenaires, fournisseurs, clients et clients potentiels (site web, réseaux sociaux, e-mails, PLV, grands médias...). Sans cela, l'entreprise sera considérée comme fermée et les commandes maintenues seront soit annulées, soit confiées à d'autres.
Cela vaut-il pour toutes les marques ?
Face à la situation actuelle des entreprises, il faut être pragmatique. Les enseignes qui doivent fermer, mais qui ont encore la possibilité de livrer leurs produits doivent absolument communiquer sur ces services, et ne pas laisser les gens dans l'ignorance ! Ce n'est pas être opportuniste, à ce niveau, c'est de la survie sur le court terme et de l'acquisition d'expérience sur le long terme. Ensuite il y a les marques nationales, qui elles ont le choix car elles sont distribuées par les enseignes mais aussi sur les marketplaces. Elles peuvent ou non être opportunistes, mais je le dis clairement : il faut l'être. Les médias sont consommés en masse à l'heure actuelle, et doivent faire face à un retrait massif d'annonceurs, ce qui remet en cause leur modèle économique. Les régies bradent, et en parallèle, le GRP n'a jamais été aussi puissant, il faut en profiter ! Là encore, c'est du bon sens économique. Et il n'y a pas que la TV : tous les médias d'intérieur sont concernés. La presse, si mal en point, peut enfin recevoir le bol d'air dont elle a tant besoin, si les annonceurs veulent bien voir leur intérêt et lui acheter des pages... Quel que soit le support, attention toutefois d'adapter le message s'il a le moindre risque d'être à contretemps, hors propos ou mal perçu. Tous les médias font des efforts pour prendre en compte cette crise majeure en baissant leurs prix, en mettant à disposition des espaces, en proposant des articles personnalisés, des solutions flexibles... Et indépendamment de la crise, il existe de nombreuses opportunités sous-exploitées.
Pour aller plus loin :
Jean-Luc Chetrit : "Entre 70 et 80% de baisse du CA des médias en avril"