Antoine Le Troadec (Angie) : "Une stratégie d'influence qui ne reflète pas la personnalité du CMO n'est pas efficace"
Publié par Matis Demazeau le - mis à jour à
L'agence de conseil en communication et marketing Angie publie, en exclusivité pour Emarketing.fr, la deuxième édition de son étude sur l'influence des CMO en France. Antoine Le Troadec, directeur adjoint du planning stratégique chez Angie, nous présente les différents enseignements de cette étude, ainsi que les stratégies d'influence des directeurs marketing qui fonctionnent le mieux sur les réseaux sociaux.
Pourquoi était-ce important pour Angie d'étudier, cette année encore, l'influence des CMO en France ?
Antoine Le Troadec : Nous nous sommes toujours intéressés aux prises de parole des dirigeants. Celles-ci sont encore plus engageantes que celles des entreprises. En effet, lorsqu'une société communique sur ses résultats annuels par exemple, nous nous sommes rendu compte que ses posts sur les réseaux sociaux présentent un engagement 30 % inférieur à ceux des dirigeants. Il y a eu une vraie palme à la prise de parole de ces leaders sur ces plateformes, et il nous a semblé, dès lors, naturel d'étudier l'écho que ces publications peuvent rencontrer. Dans un premier temps, nous nous sommes intéressés à l'influence des CEO, puis à celle des directeurs de la communication, avant de nous consacrer à celle des CMO.
Les directeurs marketing ont un rôle central dans le développement de l'entreprise et leurs paroles peuvent avoir une portée toute particulière. Voilà pourquoi nous nous sommes aussi intéressés aux CMO, en étudiant 110 profils différents sélectionnés en fonction de leur activité sur les réseaux sociaux LinkedIn et X.
Quels sont donc les principaux enseignements de cette nouvelle étude ?
A.L.T. : Nous avons identifié trois phénomènes sur l'année 2023. Tout d'abord, la première tendance est la discrétion relative des directeurs marketing en France. Ils sont certes de plus en plus nombreux à se prendre au jeu de LinkedIn et à avoir une activité plus assidue sur ce réseau social - plus de 1 000 posts des principaux CMO en France ont été enregistrés en 2023 contre moins de 700 en 2022 - mais ils sont loin d'atteindre le rythme d'autres dirigeants comme les directeurs de la communication ou les CEO.
Le deuxième phénomène identifié est la désertion de X (ex-Twitter). En 2022, seulement 20 CMO du Top 50 étaient inactifs sur X. En 2023, ils sont cette fois 39 à avoir abandonné ce réseau social. L'activité des directeurs marketing sur X a donc diminué de 70 % en 2023 (avec seulement 218 publications). Cela s'explique notamment par le rachat de la plateforme par Elon Musk et les nombreuses fake news qui ont poussé de nombreux annonceurs à quitter X.
Enfin, le troisième phénomène que nous avons observé est la diversification des profils. Certes, les secteurs de la grande consommation (habillement, alimentation...) et de la tech trustent la moitié des places dans notre classement (Ndlr : 22 sur 50) mais il n'en existe pas moins une réelle diversité en ce qui concerne les secteurs représentés et la façon dont les CMO occupent l'espace sur les réseaux sociaux.
Quelles sont, selon vous, les stratégies d'influence pour les CMO qui ne fonctionnent pas vraiment ?
A.L.T. : Celles qui ne sont pas efficaces sont celles qui ne reflètent pas la personnalité ou la pensée du CMO. Par exemple, un directeur marketing - que j'appelle "serial partageur" - qui repartage les actualités de son entreprise sans apporter son regard ou sans emmener les internautes vers les coulisses de ces dernières ne sera pas très influent sur les réseaux. Cela s'explique aussi par l'algorithme de LinkedIn qui défavorise les simples republications et qui offre plus de visibilité aux posts alimentés par un commentaire. Ensuite, l'effet perroquet ne fonctionne pas non plus. Le CMO qui reprend tous les éléments de langage de son entreprise sans apporter sa patte personnelle n'aura pas une stratégie d'influence efficace.
Et celles qui fonctionnent le mieux ?
A.L.T. : Nous avons établi trois profils de dirigeant qui performent sur les réseaux sociaux, à commencer par les "corporate reporters". À travers leurs publications, ces derniers embarquent les internautes dans les coulisses du succès de l'entreprise. Par exemple, lorsqu'une société signe avec un nouveau client, le CMO peut raconter les dessous de ce partenariat pour, entre autres, apporter de l'information à ses collaborateurs ou plus généralement à ses followers. Le corporate reporter casse ainsi la distance qui sépare les grandes décisions stratégiques des entreprises de ses collaborateurs.
Ensuite, nous avons le "dénicheur de tendances". Ce dernier est à l'affût des évolutions de son marché : il partage et commente - en dévoilant son point de vue - toute l'actualité liée à son secteur d'activité. Il peut apporter son expertise sur un sujet pointu ou tout simplement lancer des débats et interagir avec sa communauté. Enfin, nous avons le "team player". Ce dernier se donne comme mission de transformer chaque actualité de son entreprise en un succès collectif. Cela peut notamment passer par des publications de photos représentant des célébrations collectives ou encore des posts enjoués lors de la diffusion des résultats de son entreprise par exemple. Son rôle est vraiment de montrer le dynamisme de sa société.
Aucune de ces trois postures bien différentes ne fonctionne mieux qu'une autre. Il faut simplement qu'elle soit en adéquation avec la personnalité du CMO : Quelles sont ses préférences ? Sur quels sujets est-il le plus à l'aise et le plus naturel ? L'authenticité est vraiment la valeur cardinale sur les réseaux sociaux et donc les directeurs marketing doivent bien réfléchir à leur positionnement.
Vous avez dressé un Top 50 des CMO les plus influents en France. Qui figurent dans le podium ? Et quelles stratégies ont-ils mises en place ?
A.L.T. : C'est très intéressant car les trois premiers de notre classement ont adopté trois postures bien différentes. En première position, figure Yannick Duport, directeur commercial et marketing de Dalkia (groupe EDF), qui est particulièrement actif sur les réseaux sociaux. Il est très volontaire et ne donne pas seulement un écho aux nouvelles de son entreprise. Il peut aussi bien parler des coulisses, des décisions et de l'esprit d'équipe de son entreprise.
Le CMO de Peugeot, Phil York, arrive à la deuxième place de ce Top 50. Il présente une note d'audience faramineuse notamment grâce au nombre élevé de collaborateurs de Peugeot. Jean-Paul Bouteloup qui, lui, travaille pour le cabinet PwC France, doit sa troisième place à la posture d'expert et d'éclaireur qu'il a adoptée. La partie la plus importante de son audience est satisfaite de lire un tel niveau d'information et de progresser à travers ses publications.