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DossierCiblage marketing: la femme aux multiples visages

C'est à une femme toujours plus prescriptrice que les marques s'adressent. Une femme multi-facette, en attente d'un discours pour chacune de ses envies, mais évitant les stéréotypes réducteurs.

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Ciblage marketing: la femme aux multiples visages

1 Les femmes plus que jamais impliquées dans la décision d'achat...

"Dans le monde entier, les femmes effectuent ou influencent au moins 64 % des achats sur une grande variété de secteurs d'activité. Un pourcentage qui est encore plus élevé dans le secteur de la grande consommation", observent les auteurs de "L'Art du marketing to women", Marie-Laure Sauty de Chalon et Benjamin Smadja, respectivement p-dg et directeur marketing et développement international du groupe aufeminin.

En France, on estime que la part des femmes dans les achats, courses courantes comprises, oscille entre 65 et 80 %, de façon très stable. "Elles représentent 70 à 80 % des décisions d'achat au sein des foyers français", confirme Isabelle Decoopman, professeur à Skema Business School. "Elles sont devenues, ces dernières décennies, des expertes, au-delà de la mode et de la beauté, dans quasiment tous les secteurs, y compris dans les domaines considérés il y a encore peu de temps comme masculins, à savoir les produits financiers, l'immobilier, le bricolage ou la high-tech."

2 Où sont les femmes ?

Certes, lorsqu'un couple part en quête d'une voiture, le vendeur, c'est de notoriété publique, n'a d'yeux que pour l'homme. "Mais lorsque la femme est présente, la vente est quasiment faite", observe Richard Croc-Lyonnet, corporate PR manager chez Audi France. Du côté des deux-roues, la femme serait-elle, non pas l'avenir de l'homme, comme dit le poète, mais celui de Harley-Davidson ? La célèbre marque américaine en fait un relais de croissance avec son nouveau modèle, la Street 750, plus léger et moins cher, autour de partenariats avec des sites tels aufeminin.com ou lejournaldesfemmes.com. Une stratégie payante : les femmes représentent 9 % des clientes de la marque en 2014, contre 5 % il y a un peu plus de deux ans. En parallèle, le lancement de la troisième génération de Twingo fait l'objet d'une campagne à l'ambiance colorée, pop, pétillante, affichant magie et liberté, qui devrait séduire les femmes. Mais le constat est à relativiser : l'enquête annuelle "Consommation", menée depuis 1992 par le Crédoc, souligne, en 2013, que "l'attrait pour les produits techniques présentant des innovations reste prioritairement masculin. Lorsque le produit comporte une innovation technologique, 43 % des hommes sont incités à l'acheter, contre 28 % des femmes. "

Le Crédoc évoque une tendance féminine favorable à la consommation responsable. "Les femmes entre 18 et 54 ans, notamment avec des enfants, se montrent plus engagées, plus solidaires et plus soucieuses d'une consommation éthique, biologique et respectueuse de l'environnement que les hommes", souligne Thierry Mathé, chargé d'études et de recherche du département consommation du Crédoc. "Du côté des courses, la part des hommes ne les effectuant jamais est passée de 43 % en 1988 à 22 % en 2010 : l'évolution est lente mais très nette sur ce critère", précise Thierry Mathé. Des différences qui s'estompent, des intérêts qui s'élargissent et des perspectives qui s'ouvrent à la gent féminine, sachant que celle-ci travaille dans près de 80 % des cas.

L'EXPERT Lise Brunet, directrice de clientèle, département tendances et prospective, Ipsos

Mieux comprendre les comportements des Françaises et des Français en matière de shopping et identifier les tendances de demain : telle est l'ambition de l'Observatoire du shopping, lancé en 2013 par Unibail-Rodamco, le numéro un européen de l'immobilier commercial, en partenariat avec Ipsos. "En matière d'achat de vêtements, 77 % des femmes décident seules. En revanche, 32 % des hommes se concertent avec leur partenaire. Le contraste est encore plus fort en hygiène/beauté, avec des taux respectifs de 91 et 33 %", annonce Lise Brunet, directrice de clientèle, département tendances et prospective d'Ipsos. Dans le domaine des achats de high-tech, la tendance sera plus équilibrée : les femmes sont 45 % à décider seules et les hommes, 37 %. L'Observatoire du shopping s'intéresse aussi à l'évolution du goût pour pratiquer le shopping en commun (courses non comprises). Jusque vers 35-40 ans, on peut parler de complicité :60 % des femmes et des hommes aiment faire leurs courses ensemble. Après, cela se gâte. Si ce taux se maintient pour les hommes, au-delà de 60 ans,il n'en va pas de même pour les femmes. Elles ne sont plus que 50 % à apprécier le shopping en commun vers 40 ans, 42 % vers 50 ans et 33 % à la soixantaine !

Les femmes sont-elles toujours aussi prescriptrices en matière d'achats ? Oui, répondent les instituts d'études, de sondages et autres responsables marketing des marques.

3 ... mais aux profils de plus en plus complexes.

La ménagère des années cinquante a vécu. "La ménagère de moins de 50 ans originelle n'existe plus, mais c'est toujours elle, le coeur de la consommation", déclarait Ipsos Public Affairs dans nos colonnes en septembre 2012.

Du reste, l'ouvrage L'Art du marketing to women a choisi pour base line : "On a assassiné la ménagère". Au sein des équipes marketing, l'idée d'une femme monoprofil, qui gobait n'importe quoi, est passée à la trappe, au profit d'une femme multifacettes et avertie. "Les marques ont compris, pour la plupart, que les femmes devenaient prescriptrices dans tous les domaines. Elles doivent envisager cette multiplicité et s'habituer à utiliser plusieurs discours pour leur parler. Mais en évitant les discriminations habituelles", explique Aurélie Kessous, professeur chercheur en marketing à l'Inseec de Paris.

4 Cibler les femmes sans tomber dans le sexisme

Une multiplicité qui complique la tâche des marques : "Les femmes demeurent de grandes inconnues pour les marques, qui ont beaucoup de difficultés à prendre en considération leurs attentes", souligne Isabelle Decoopman (Skema Business School). Comment leur parler ? "Don't think pink," répond Benjamin Smadja (aufeminin). "Il ne suffit pas de séduire par la couleur, la miniaturisation. Il est important de valoriser les femmes et de ne pas véhiculer les stéréotypes. Les marques BN et Stabilo l'ont appris à leurs dépens. Le lancement du Stabilo Néon, le 8 mars, Journée de la femme, a déclenché des réactions négatives sur les réseaux sociaux et la Toile." Bref, autant éviter les buzz négatifs ravageurs.

Et Isabelle Decoopman de préciser : "le marketing de genre tâtonne et est très délicat à mettre en oeuvre car il peut facilement glisser dans la caricature. Il est très dangereux de sexuer les produits dans le monde du travail, comme l'ont fait Stabilo ou Bic, avec Bic for her. Le territoire du travail doit rester neutre. De fait, les marques ont souvent tendance à insister sur l'aspect séduction, qui revêt une dimension très réductrice de la femme." Mais les stéréotypes ont la vie dure. Benjamin Smadja rappelle ainsi que la Barbie princesse reste le modèle le plus vendu de la marque fétiche des petites filles ! Le segment des voitures citadines, au positionnement plus féminin, fait un tabac auprès des femmes. Pour sa part, la Mini affiche le plus fort pourcentage d'acheteuses (72 %, versus 28 % pour les hommes).

"La clé consiste à bien gérer cette notion de stéréotypes, en n'étant ni trop en avance ni trop en retard. C'est un métier d'équilibriste", constate Benjamin Smadja. Le média de masse aufeminin joue la carte du dialogue, sur des forums chers aux femmes. Il incite les marques qui communiquent sur le site à discuter avec les internautes. "Un expert de Roger & Gallet est ainsi venu répondre aux questions des femmes à propos de leurs gammes de produits d'hygiène intime", rappelle Benjamin Smadja. Bref, il s'agit de trouver le discours le mieux adapté à sa cible : une banalité marketing qui reste toujours l'enjeu à ne pas rater.

Exit, la fameuse "ménagère de moins de cinquante ans". Mais qui la remplace ?

5 La consommation: un moyen de construction identitaire ?

Isabelle Decoopman, professeur à Skema Business School

En 2013, vous avez étudié la propension des mères à échanger des vêtements avec leur fille adolescente. Vous évoquiez une nouvelle échelle de segmentation. Qu'en est-il ?

Cette variable de segmentation a été établie à partir d'une étude menée auprès de 987 mères d'adolescentes à destination des professionnels du marché vestimentaire. L'échange est un concept-clé en marketing. Nous avons identifié trois groupes. Les "Réfractaires", 28 % du total, sont des mères qui refusent d'échanger leurs vêtements et d'admettre que leur fille grandisse. Elles veulent rester les seules femmes de la famille. Les "Disposées", 45 %, échangent leurs vêtements en fonction des opportunités. Elles ne sont pas dans la fusion. Les "Adeptes", 27 %, sont dans la fusion totale.

Ces mères ne veulent pas vieillir, partagent leur garde-robe et font des achats communs. Autrement dit, ces phénomènes de co-consommation entre les mères et les filles ne concernent pas de la même façon toutes les mères d'adolescentes. Les campagnes de publicité de la marque Comptoir des Cotonniers, bâties autour du concept mère-fille, restent, dans ce domaine, l'un des exemples les plus connus.

Toujours selon vos études, la femme est une cible difficile à appréhender. Pourquoi ?

Parce qu'il ne s'agit en rien d'une catégorie homogène. L'hétérogénéité des femmes ne relève plus uniquement des critères socio-démographiques classiques mais également des caractéristiques liées à la psyché féminine. La consommation participe de plus en plus à la construction identitaire, dans un contexte de modification profonde du modèle féminin depuis les années soixante-dix. Les femmes sont multifacettes.

Il est préférable de cibler l'âge subjectif, généralement 10 à 13 ans de moins que l'âge chronologique, en fonction des trajectoires de vie. Par exemple, une femme de 50 ans qui aura encore des enfants à charge et une autre du même âge, dont les enfants auront quitté le nid familial, auront des perspectives temporelles différentes.

Les marques doivent-elles répondre à la multiplicité des rôles de la femme ?

C'est à cette tâche que les marques doivent s'atteler. Le monde des services et des nouvelles technologies a bien compris qu'il était nécessaire de faciliter la vie des femmes actives. Leroy Merlin, à l'instar d'Ikea, lance des ateliers de jeux pour que les mamans puissent faire leurs achats tranquillement. Le garage pour femmes "Only Girl" amorce une expérience exclusivement féminine sur un territoire réservé aux hommes.

L'EXPERT Alexandra Madiot, responsable de la communication Fiat, Lancia et Abarth

"En France, 37 % des conducteurs sont des conductrices. Les chiffres sont stables. En revanche, ce taux passe à 70 % sur le segment des petites citadines. Fiat représente 20 % du segment A des petites citadines en France. Autrement dit, 61 % de ses clients sont des femmes. Elles restent une cible privilégiée pour notre marque", observe Alexandra Madiot, responsable de la communication des marques Fiat, Lancia et Abarth. A l'occasion de l'arrivée de la nouvelle 500 en 2007, le groupe a joué la carte de la personnalisation (choix de 14 couleurs), et s'est emparé des codes de la mode. Témoin, la campagne de publicité Auto Portrait, dans laquelle la conductrice (ou le conducteur) ne faisait plus qu'un avec sa Fiat 500. Résultat : la nouvelle Fiat 500 compte 81 % de conductrices, contre une moyenne de 60 à 65 % auparavant. Le groupe s'est même associé, en février 2014, avec LVMH pour lancer en série limitée une Fiat 500 aux couleurs du parfum de Guerlain La Petite Robe Noire. "Un partenariat ultra-féminin pour répondre aux attentes de notre cible", poursuit Alexandra Madiot. Un écrin sur mesure, dont les 250 exemplaires se sont vendus en l'espace de quelques semaines.

Isabelle Decoopman, professeur à Skema Business School, et Alexandra Madiot, responsable communication chez Fiat, nous explique comment la consommation est un excellent moyen pour construire une identité individuelle.

6 La prescription: une histoire de femmes ?

Chez Damart, la nouvelle campagne de communication, signée Score DDB, part à la conquête des "boomeuses", les plus de 50 ans, "les grandes oubliées d'une société focalisée sur la trentenaire, qui ne se reconnaissent pas dans le modèle de leur mère, sans pour autant ressembler à leur fille". Une campagne pertinente, "un manifeste", selon la marque, qui part d'une évidence : une femme majeure sur deux a plus de 50 ans. Un poids à prendre en compte. À considérer également, le comportement de la gent féminine dans son rôle de prescriptrice. "Les femmes sont et demeurent très prudentes. Elles se sentent responsables du conseil qu'elles délivrent. La femme se sent presque investie d'une mission. Du reste, 78 % demandent conseil autour d'elles pour décider dans leur rôle de prescriptrice et croisent leurs informations. Au-delà du Net, elles ont besoin d'un conseil humain. Elles ont un rôle prépondérant dans la prise de décision. Les hommes ne sont plus que 15 % à décider seuls ! Une vraie évolution", observe Ketty de Falco, dg de l'institut CSA.

Enfin, il s'agira de suivre de près le rôle des réseaux sociaux en matière de prescription. Selon Ipsos, 5 à 10 % des jeunes partagent "leur look" sur Facebook. Également prisés par le beau sexe, les sites de "wish list", un phénomène en plein développement aux États-Unis. Ce sont aussi les "it-girls", " célèbres pour ce qu'elles portent, pas pour ce qu'elles font. Un style qu'elles distillent sur internet et les réseaux sociaux ", rappelle M, Le Magazine du Monde. "Nous sommes au coeur d'une prescription, d'une influence passive", conclut Lise Brunet, directrice de clientèle au département tendances et prospective d'Ipsos.

L'EXPERT Caroline Doche, directrice du Customer marketing Europe du Sud de Bacardi

Chez Bacardi, numéro trois mondial des spiritueux, pas de communication spécifique pour les femmes." Nous intégrons, cependant, les titres de la presse féminine dans les campagnes des alcools moins forts ou ceux à utiliser dans des cocktails, tel le rhum ", explique Caroline Doche, directrice du customer marketing pour l'Europe du Sud de Bacardi. L'homme reste le principal consommateur de spiritueux, dans 53 % des cas (73 % pour les anisés et 71 % pour les whiskies). Les alcools blancs sont appréciés par 48 % des femmes. Idem pour les apéritifs (58 %) ou les liqueurs modernes ou exotiques (61 % et 64 %). Mais si les hommes consomment ces alcools avec moins de modération, les femmes restent les principales acheteuses, dans 65 % des cas. Elles sont prescriptrices des alcools pour cocktails inscrits dans un contexte de partage, contrairement aux whiskies et aux anisés, prescrits par les hommes.

73% des femmes déclarent être "Hub decider woman", c'est à dire "centre de décision": un bon prescripteur est-il forcément une femme ?

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